Le miroir hongrois

Hongrie

Je ne sais des événements en Hongrie que ce que j’en lis dans la presse anglophone, c’est-à-dire bien peu. Mais il me semble tout de même que la contestation populaire à Budapest et plusieurs villes du pays mérite notre attention. Je me permets de mettre quelques notes au propre, ici.

Cette semaine, la Hongrie est entrée dans la ronde décidément fantastique de cet hiver 2018. Enflammés par l’adoption mercredi dernier, par les députés acquis au premier ministre Viktor Orbán, de lois injustes maltraitant les salariés et tripatouillant la justice au profit du parti majoritaire, des milliers de manifestants ont été particulièrement exaspérés par l’expulsion brutale hors du siège de la télévision publique, dimanche, d’un petit groupe de parlementaires. Pour l’essentiel issus des rangs de la gauche, ils étaient venus tenter de faire diffuser à l’antenne leurs revendications. Refus catégorique. Ils ont été jetés dehors à coups de pieds et de poings par des gorilles, tandis que sur les plateaux on présentait les manifestants comme des ennemis de la chrétienté et, bien entendu, des marionnettes de puissances occultes, suivez leur regard.

Après s’être rassemblées devant le Parlement, des milliers de personnes se sont donc dirigées hier vers le siège du média d’Etat, largement acquis à la cause du gouvernement, pour protester contre sa larbinerie. Car quand elle ne se tait pas, elle ment. Aux fumigènes des gens en colère ont répondu, là-bas aussi, des coups de bâton et des grenades lacrymogènes. Pour calmer le jeu, les responsables de la télévision d’Etat ont fait savoir qu’ils diffuseraient les revendications des manifestants « un de ces jours« . On a donc campé dans la rue, à Budapest, malgré un froid faisant geler les pierres.

La brute Viktor Orbán, membre du Parti populaire européen, la force dominante à Bruxelles, donne une assez bonne idée de la manière dont cette nouvelle droite raciste et bigote qui prétend aux trônes européens entend traiter la société.

La rue bourdonne donc désormais tous les jours en Hongrie, comme en France et d’autres pays d’Europe. Même si le parti d’Orbán remporte toutes les élections, alors que l’opposition est en partie composée de médiocres et d’imbéciles, le niveau d’exaspération populaire est manifestement dépassé, là-bas aussi.

Voici les premiers enseignements que je retire de ces événements. La brute Viktor Orbán, membre du Parti populaire européen, la force dominante à Bruxelles, donne une assez bonne idée de la manière dont cette nouvelle droite raciste et bigote qui prétend aux trônes européens entend traiter la société : avec une laisse pour les salariés et le marteau de la propagande pour tout le monde.

La loi qui a poussé les foules de Hongrie dans la rue est en effet un pur élixir néolibéral, relevant le plafond des heures supplémentaires autorisées jusqu’à 400 heures par an, avec la possibilité, pour les patrons, les pauvres chéris, de bénéficier d’un délai de trois ans pour les payer. Oui, 400 heures et, oui, trois ans ! On dit même que cette loi ignoble aurait été inspirée à la Hongrie par ses chers voisins allemands, garants de la paix et de la prospérité en Europe paraît-il, lesquels ont toujours besoin de main-d’oeuvre bon marché pour fabriquer les pièces de leurs merdiers prétendument made in Germany. Voilà pour l’esclavage ordinaire. Quand aux médias hongrois, privés et publics, ils sont pour la plupart dans un tel état de pourrissement, de servilité envers le pouvoir et de vilénie envers l’opposition, qu’ils ne méritent que le regard désolé d’un riverain impuissant observant un naufrage. On connaît ça, malgré les cris suraigus des hallebardiers de la démocratie, de notre côté du continent.

Ajoutons à cela une nouvelle manœuvre visant à s’assurer l’obéissance d’un système judiciaire sous contrôle et des libertés civiles et politiques considérées comme de fâcheux contretemps par le pouvoir, pour parachever le tableau.

On joue la même musique, où que les néolibéraux gouvernent, en Hongrie comme en France : les hordes barbares se profilent et nous sommes votre bouclier face à l’ennemi intérieur.

Que les hamsters médiatiques tentent aujourd’hui, en France, de refaire tourner leur roue habituelle — Tata Le Pen accourt comme une marée galopante, seul le bon petit Docteur Macron peut nous sauver de la Bête puisque le méchant Monsieur Mélenchon fait les gros yeux dans votre dos — n’étonnera personne dans ces conditions. A quelques variantes près, on joue la même musique, où que les néolibéraux gouvernent, en Hongrie comme en France : les hordes barbares se profilent et nous sommes votre bouclier face à l’ennemi intérieur, quel qu’en soit le prix. Mais ce petit mécanisme mesquin s’est grippé ces dernières semaines, à l’évidence.

Bref, pour autant que l’on puisse en juger aujourd’hui, la Hongrie en ébullition est le miroir de l’Europe. Une classe arrogante et hégémonique, une parole publique confisquée avec condescendance, des arrangements entre crapules sur le dos des peuples, l’hypocrisie générale des prétendus démocrates. Finalement, ces élections européennes du mois de mai vont être plus intéressantes que l’on croyait : au moins peut-on espérer démasquer quelques impostures.