Au Beaux-Arts de Lille

Palais des Beaux-Arts de Lille. Quelques merveilles, dont un Caprice cauchemardesque de Goya, le joli petit Robespierre jeune homme de Boilly, des croûtes sans grande valeur, du kitsch Louis XIV, et quelques portraits saisissants de l’école hollandaise, commandes de quartier faites à des peintres mineurs contemporains de Descartes, Rembrandt et Spinoza, aussi talentueux que des tenanciers de studios de photos d’identité ou de mariage.

Je déambule à la fois amusé et intimidé, ou plutôt je comparais, comme un voyageur à peine arrivé dans une auberge de la campagne flamande égouttant encore son manteau trempé de pluie, devant un peuple de vilains, de gros pifs, d’antiques vieillards recompteurs de sous, de jeunes et riches idiots pleins de gentillesse, de peintres vagabonds rouges et tonitruants, de vieux pères aux pommettes roses de genièvre et de charcuterie, d’aimables bourgeois à la moustache blonde, follement tirebouchonnée.
Ces faces ingrates, grêlées, au poil roussi, mais affables, civilisées et bavardes, se succèdent au milieu des petits paysages crépusculaires dans lesquels ils commerçaient rêveusement, et sous la présidence de deux grandes glissades de Noël du fils Brueghel.

Je salue aussi, comme on passe en cuisine, quelques laideronnes et des vieilles folles, tout un tribunal de village, de faubourg de Haarlem ou de Delft, attentif à l’étranger et absolument inoffensif. Ces trognes et ces âmes brumeuses me jugent, mais sans grand effet. Ils ont de la conversation pour tenir la cheminée brûlante jusque tard. Ma nuit promet d’être confortable, lourde et inquiète, dans le lit en placard. Je m’éloigne sans qu’ils protestent en tout cas. Et si je repasse, les revoici, identiques, et bizarrement cela m’étonne et me ravit.