Dans la lumière mouillée de Tours

La vieille ville de Tours, recluse et jalouse dans ses obscures ruelles à colombages, respire le petit jardin Renaissance, le logis François Ier, le « clos » de Léonard, Ronsard et Clément Marot.

Éclatants feuillages de l’automne, jaunes clairet, roux de feu, verts-pistache très clairs, verts-argent du peuplier et verts-mousse, sur des fonds d’ardoise, de gris fuligineux et de pierre noir-carbone. De gros cieux mouillés de novembre, de coquettes villas proustiennes interdites aux pauvres, piquées de lampes chaudes, inaccessibles, interdites.

Le reste du gros bourg, ecclésiastique et grand-bourgeois, est organisé par la richesse et la préfecture.

Caserne, cadastre, quartiers partagés à parts égales entre l’urbanisme boutiquier de la IIIème République, le pittoresque médiéval, faussement gothique des étiquettes de vieilles bouteilles de vin de table, des enseignes d’auberges — Coq d’Or, Trois-Dauphins — où l’on dîne de beaux rôtis, de tripes inavouables et de grands crus chez Claude Chabrol, et les perspectives urbaines de la longue ligne, du rectangle, de l’arcade de béton, presque balnéaire, des années 50. Royan de l’arrière-pays, des terres des Valois.

En son bord, enjambée, comme un énorme et monstrueux animal, coule la Loire, la pure et puissante Loire emportant tout vers la mer : branchages, boue, eaux saliveuses, outres de bêtes crevées, regrets, rancunes, et le temps lui-même, qui ne saurait résister à un tel charroi, à une telle volonté de fer, meurtrière, mais « couleur de café au lait », comme le dit Julien Gracq. La vieille barque coincée dans l’arbre immergé, brutalisé par le courant : je songe aux « gabarres pourries de Carrier » de Pierre Michon.

Solitude, paix, exil intérieur. On peut se faire oublier de tous, ici. Il ne se passe rien. Mais les morts sont là, impassibles, silencieux, sourcilleux. Nulle part et surveillant les vivants, sans un mot. Quelle force, quelle cruelle miséricorde.

C’est précisément notre grand et inconsolable chagrin, notre incommensurable tristesse qui nous force à chercher partout la beauté des choses et l’héroïsme de l’humanité. Sans elle, nous ne serions que de pauvres passants, à moitié contentés, sans interrogation claire et sans ardeur, sauf celle de reconnaître peut-être dans le monde ce que nous connaissons déjà.