Sanctuaire

Dans le train abandonné de l’ancien président Jafaar Nimeiry, Khartoum (Soudan), mars 2020.

J’extrais du chaos qui passe une forme qui dure.

Le monde est une énigme pour qui exige des réponses. Mais nous autres les humains sommes de bien curieuses créatures : seuls au monde à pouvoir toucher l’absence, nous nourrissons l’esprit par la main et la main par l’esprit. Ainsi, nous caressons les choses que nous trouvons belles : la joue d’une petite Aphrodite, l’épaule d’un cavalier de bronze, le visage fuyant d’une photographie, la dépouille effondrée d’un mur, le dessin de nos pères, une margelle de marbre, une tunique plissée tombant sur une sandale, une porte fermée sur la disparition.

Et ces choses pourtant mystérieuses, pourtant fragmentaires, incomplètes et lointaines, sont d’un coup comme des preuves ; elles marquent la fin de nos raisonnements. Nous nous arrêtons là et le monde existe soudain, dans l’envers et l’endroit de la lumière.

Mais puisque la matière disparaît avec le temps et que nous ne pouvons plus approcher ce qui a disparu que du bout des phalanges, comment espérons-nous retrouver les traces des choses immatérielles, entendre les confidences et revoir les gestes des morts ?

Par la voix, la voix seule, le récit tout haut. —Tel est le seul et dernier refuge des morts et de leur génie.