Paraît aujourd’hui mon troisième livre, et deuxième roman : Shiftas, aux Éditions des Équateurs. Je voudrais en dire un mot, parce que ce moment compte dans l’histoire de ma vie. « C’est ici un livre de bonne foi, lecteur », prévenait notre maître Montaigne.
J’ai mis le point final à ce roman en octobre 2017, après un an de travail. Il paraît en librairies aujourd’hui, pour mon plus grand bonheur, après ma trop longue errance sur des terrains bien obscurs. J’espère que sa parution entamera, pour moi, une époque nouvelle : celle où, à l’instar du marseillais Bruno Commandant qui traverse cette histoire, je vais peut-être moi aussi pouvoir m’absenter doucement de « l’actualité des catastrophes » et respirer librement un grand air plus vif, plus ample, plus drôle, plus romanesque pour tout dire.
Lassé du réel, des prétendus faits objectifs, de l’obsession de l’absurde vérité, me voici à l’aise dans le mensonge, l’improvisation, la variation sur un thème, l’abracadabrant. Angelo Pardi, petit frère, attends-moi encore un peu ! Qui sait si le « bienveillant lecteur » me permettra de t’accompagner sur d’autres chemins.
Alors, Shiftas, parlons-en. Certes, on n’est jamais vraiment maître de sa parole, puisqu’elle ne s’achève vraiment que dans l’esprit de celui qui écoute. Mais ce que je peux dire tout de même, c’est qu’il s’agit d’un roman noir et burlesque sur la quête de l’héroïsme dans le grand déménagement absurde du monde, la farce tragique de trois perdants en cavale en Somalie, après le braquage du siècle.
Ce roman, pour moi, reste mon polar, mon scénario à frissons, mon ode aux feignants cosmiques, aux traîne-savates, aux éternels quatrième de la course.
On l’aura compris : après les « héros ordinaires » des Erythréens, après le naufragé survivant d’Athènes ne donne rien, une fois de plus je m’interroge sur l’héroïsme. Mais n’est-ce pas un réflexe de survie au beau milieu de l’ère des managers ? Si nous perdons cette petite folie de vue, qui enflammera encore nos cœurs, qui nous donnera encore le courage de « bondir hors du rang des assassins » ? Oui, je cherche des héros, car je sais qu’ils sont cachés parmi nous.
Alors, je me suis appliqué, j’ai laissé courir le cheval librement, j’ai démonté puis remonté le puzzle de ce roman qui, pour moi, restera mon polar, mon scénario à frissons, mon ode aux feignants cosmiques, aux traîne-savates, aux éternels quatrièmes de la course, plus ou moins heureux et toujours sans gloire. Je n’aime pas mon époque : il fallait lui proposer des visages de renégats. En passant, on pouvait aussi déconstruire le grand malentendu de l’argent et de la célébrité, barbouiller médias de masse et cornichons décideurs à la peinture à l’eau, ouvrir la grande horloge de la mécanique du monde actuel et en expliquer sans précaution les ressorts, les rouages broyeurs et les petits marteaux montés sur des engrenages d’orfèvre. C’est du moins ce que j’avais en tête.
J’ai donc marché dans les pas d’Eric Vuillard, Wes Anderson et Donald Westlake, tout en m’efforçant d’assimiler, dans la forme romanesque, les techniques d’écriture des séries télévisées. J’avais aussi en tête ces films d’aventure qui ont conduit mon enfance « comme par la main », comme dit l’autre : Un Taxi pour Tobrouk, Les Morfalous, Le Salaire de la peur… Des sources toujours fraîches et jamais oubliées. On y apprenait des leçons déchirantes qui changent une vie. Je ne suis pas épargné par le doute mais je crois avoir fait là, comme à chaque fois que j’ai achevé un livre depuis Les Erythréens, ce que je savais faire de mieux à l’heure dite, sous réserve de n’être pas encore devenu complètement fou.
Si, avec Shiftas, je suis parvenu à ressusciter le doute chez quelques lecteurs, j’aurais tenu ma promesse. Pour les auteurs qui, comme moi, n’ont pas la notoriété pour appui, chaque conquête est un peu d’oxygène en plus. Le mieux que l’on puisse faire pour m’encourager à tenir ce cap-là, c’est donc d’enquiquiner quotidiennement ses libraires, d’autres lecteurs, son entourage, ses amis influents, avec un peu d’enthousiasme, agacé par le feu follet que mon travail, je l’espère sincèrement, aura pu embraser.