Le musée des horreurs impériales

Château de Fontainebleau. En entrant, à la suite de classes de gamins bruyants en gilets jaunes, je fais un détour par le musée Napoléon. Certes, je reconnais son génie militaire et politique, j’admets qu’il a tenu quelque chose d’assez haut dans le ciel du temps pour survivre à l’éternité. Oui, comme le dit Hegel en le voyant passer, en vainqueur, engoncé dans sa petite redingote grise, dans les rues d’Iena, il a bien été l’esprit du monde.

Mais j’ai du mal, et j’en suis désolé, à réprimer mon mépris pour la geste impériale. Surtout lorsqu’elle se traduit dans le mobilier, la faïence, l’orfèvrerie, la miniature, les affreux petits objets cultuels, mégalomanes, nord-coréens, que l’Empereur a fait produire par centaines d’exemplaires et dont il abreuvé ses adorateurs, ses plus hauts gradés, ses ducs et ses comtesses d’opérette, et qui sont si abondants ici, sous vitrine, pour l’admiration de tous les pauvres bougres ayant payé 14€ pour regarder ces bidules kitchs et dorés comme s’ils avaient été déféqués par l’âne impérial lui-même, au cours d’une quelconque « séance » occulte.

De petits joujoux en forme de canons Gribeauval. Des assiettes peintes. Des statuettes. Des carafes. Le pot à lait de Joséphine. Le petit uniforme du roi de Rome. Je me penche sur l’étiquette explicative et je trouve le nom du tailleur parisien tout fier d’avoir commis cette panoplie de petit général.

J’y trouve un mauvais goût de nouveau riche, de parvenu, de pétro-milliardaire texan accrochant son portrait en Stetson et santiags dans son immense salon. Je m’attends à marcher sur la peau d’un bison tué lors d’une chasse avec le gouverneur, augmenté de la photo encadrée du forfait et des deux assassins souriants, avec leurs armes de guerre, et un domestique noir.

Napoléon apparaît ici comme une sorte de Trump de la vieille ère des tyrans, de l’époque des rois hargneux de droit divin et de lignée abâtardie, des François-Joseph d’Autriche, des Louis XVIII le balourd, des Kaisers Wilhem, tout d’or et d’aigles onguleux et criards.

Le sacre de 1804 me semble digne d’une messe du pire télévangéliste de Floride.

Les grandes peintures dans le couloir. Jérôme, Lucien, la vieille Laetizia, Louis l’idiot, toute la clique Bonaparte alignée, avec leurs vulgaires trognes de vendeurs de bagnoles, d’un côté en pied, couverts de fourrure d’hermine, en cape de velours, bas blancs et ballerines à rubans, et de l’autre en plâtre, vilainement antiques, grotesques à la fin, parce que même quand c’est celui de Socrate ou Hadrien, ce type de bustes est bizarre et médiocre sous le ciseau d’un Carpeaux ou d’un René Fache. Même le berceau de l’Aiglon est surmonté d’une auréole. Le sacre de 1804 me semble digne d’une messe du pire télévangéliste de Floride.

Je ne suis pas étonné que son imbécile de neveu, Napoléon III, ait choisi de revenir à Fontainebleau et d’y faire ramper les ambassadeurs venus lui apporter ses lettres de créances. C’est à la hauteur du personnage : pleutre, menteur, médiocre, opportuniste, faible, pédant. Mais bref.

On se croirait dans un parc d’attractions démodé, une sorte de palais du facteur Cheval poussé au grandiose par la richesse prodigieuse de la France, dont Napoléon Bonaparte s’est emparé à la faveur de la détresse du temps et de la roublardise de son grand frangin.

Avec sa petite mentalité d’adjudant, Napoléon a fait de Fontainebleau une sorte de Kremlin à la française. Combien ont dû trembler, ici, en attendant d’être reçus en audience, assis sur l’une des chaises rembourrées longeant les tapisseries des antichambres vides, fonctionnelles et mornes, dans le ballet silencieux des larbins en livrée Grand Siècle.

Ici, on mesure la dureté, la grandiose méchanceté dominatrice de la Cour de François Ier, son élégante sauvagerie.

Je quitte le musée. Le château est immobile, plein de lumière. Sa vieille ombre Renaissance, son parquet craquant, ses chambres sentent la poussière et la cire.

L’autre occupant du lieu, c’est François Ier. Ses armes sont partout. Dans les boiseries, la pierre, les peintures. Partout, l’on trouve les images de sa face ingrate, grinçante, de père de famille autoritaire. On imagine aisément sa voix aigre, roulée dans un accent vieux françois de bourgeois aquitain. Dans l’immense sale de bal inondée de soleil, je me dis que les domestiques en chausses bouffantes et bonnet à plumes devaient faire tourner cette folle et extravagante machine des soirées du roi avec la même application soumise, la même sombre énergie que des soutiers, au fond d’une cale de paquebot de luxe, chargeaient le charbon dans les fours monstrueux des transatlantiques.

Ici, on mesure la dureté, la grandiose méchanceté dominatrice de sa Cour, son élégante sauvagerie. C’était autrement plus sérieux que la petite dictature familiale des Bonaparte, qui a bien le pire de l’esprit français : la forfanterie, la joie de vivre poussé à l’excès, la prétention de parler pour le monde entier, qui devient ridicule et même criminelle si elle n’a pas la modestie, et même la roide austérité d’un Robespierre.