
J’ai l’habitude quelquefois d’ouvrir un cahier et de recopier ici, voire de mettre au propre, des fragments épars. En voici un exemple : un poème en deux parties, qui traîne en morceaux dans mes papiers depuis deux ans. L’une est le préambule d’une série de romans, l’autre un petit archipel inutile. Des photographies de l’été dernier, à l’étrange format carré, les accompagnent.
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Nous avons perdu toutes nos batailles, I
Nous avons perdu toutes nos batailles. Aucun de nos drapeaux n’est resté bien longtemps dans le vent des jours et des nuits. De nos duels, nous sommes sortis cisaillés par le doute. Et nos chefs sont morts ou en exil.
Mais nos îles règnent toujours sur leurs eaux, disséminées sur la mer, oubliées de tous. Nos gouvernements font encore des rêves.
Nous nous accordons à la géométrie du monde, nous sommes ses porte-voix. Il n’est pas raisonnable de nous penser dociles. Aucun prince lointain ne peut tenir nos archipels.
Et si nos pauvres redingotes entrent dans les palais, nous imposons la justice. Le plus souvent, le temps ordonne que nous perdions nos procès. Alors à notre tour, nous buvons en souriant le poison qu’on nous donne.
Nous sommes les héroïques.
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Nous avons perdu toutes nos batailles, II
LES HÉROÏQUES
Les siècles qui passent nous imaginent dormant de l’autre côté des murs. On ne croit en nous que comme on croit aux présages.
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CHANSON DES SOLITAIRES
Souveraines,
Mais pas plus loin que l’horizon,
Que la dernière fumée,
Nos îles sont insaisissables.
La nuit ne tombe pas chez nous.
Chez nous,
Le ciel n’effraie pas, il procure.
Tous les arpents sont libres.
Chaque matin, pour reconnaître notre domaine,
Nos marins nagent autour des phares,
Saluant de la main les amis sur le rivage.
Mais toutes les barques du monde sont brisées.
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ENVOI
Quand le ciel nous questionne, nous l’écoutons,
Nous qui lui parlons toujours.